Invasion

Réaliser un film sur l’invasion de la planète par des extraterrestres sans aucun effet spécial (ou presque) est un concept en soi.

Et c’est précisément de concept dont il s’agit ici : avant de lancer l’attaque qui colonisera notre bonne vieille terre, les envahisseurs veulent comprendre les humains et leur façon étrange de penser, saturée d’émotions et de concepts.
Pour cela, ils ont envoyé des éclaireurs qui ont pour première mission de s’emparer des concepts des hommes et des femmes dont ils jugent le spécimen intéressant.
Ainsi, sous la peau du jeune et séduisant professeur Makabe, chirurgien du grand hôpital de la ville, l’un d’eux va extraire, d’une simple pression du doigt sur le front de ses cobayes, les concepts de la famille, de la co-existence, de la haine, de la peur de mourir, et, ultime expérience pour vraiment pénétrer l’âme humaine, le concept de l’amour.

Etsuko, jeune ouvrière textile, s’aperçoit avec effroi du changement de comportement soudain de ses congénères, et surtout de son mari Tetsuo, qui est devenu taciturne, préoccupé et violent.
Tetsuo est en fait devenu le guide de l’alien qui a pris possession du corps de Makabé, et est en charge de lui trouver les meilleurs échantillons pour parfaire sa collection de concepts. Dans cette mission imposée, Tetsuo comprend qu’il doit se soumettre à la volonté de son maître, pour ne pas se voir infligé de grandes souffrances.
Etsuko quant à elle s’aperçoit qu’elle est est naturellement immunisée de l’emprise des aliens. Sa lucidité et son analyse raisonnée de la situation pourrait s’avérer être la clef du salut de l’humanité.

Avec un minimalisme déroutant, Kiyoshi Kurosawa (Avant que nous disparaissions – 2017) nous emporte dans une mélancolie et une poésie séduisantes.
Le jeu presque naïf est acteurs, les échanges relativement simples des dialogues, la lumière souvent blafarde et le rythme parfois trop lent, pourraient rendre se film profondément ennuyeux au premier abord. Pourtant, avec très peu (un fond sonore qui pilonne sourdement, une pluie apocalyptique soudaine, ou des ruptures inattendue de champs) Kurosawa arrive avec subtilité à provoquer de l’angoisse, à nous sortir de notre torpeur quand ses personnages tombent eux, dans une catatonie soudaine.

Le thème de la servitude et de la soumission est également omniprésent.
Que ce soit celle d’une femme à l’égard de son mari, d’une fille face à son père ou d’ouvriers d’usine pour leur patron, et ici d’un humain au service de son colonisateur extraterrestre, la question est ouvertement posée au sujet de la réalité du concept. Ainsi, le professeur Makabé explique à Etsuko, qui implore que son mari soit libéré, que Tetsuo ne doit sa soumission qu’au simple fait qu’il l’ait acceptée. Il demeure esclave parcequ’il le souhaite au fond de sa conscience.
Comme une révolution (culturelle), Miyuki (l’amie d’Etsuko internée dans un hôpital psychiatrique) rejette le concept de la filiation en ne reconnaissant plus son père en tant que tel, la femme du patron de l’usine, possédée par un alien, corrige violemment son mari devenu son guide…

Cette allégorie du Banquet, revisitée à la japonaise, est peut-être une image subliminale d’une société encore en mal avec la lourdeur de ses traditions, ses concepts de loyauté, d’engagement, ses difficultés à vivre pleinement et ouvertement ses sentiments…

Un OVNI dans le paysage cinématographique de nos jours, mais une petite perle à regarder avec délectation.

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MiTch

Ton commentaire est seduisant et la trame que tu décris est prometeuse de laconfrontation de nombreux concepts (hahaha) philosophiques
La soumission volontaire (LaBoetie) comme arme de destruction massive de l’humanité…
Que dire ? C’est tellement vrai, tellement contemporain , mais aussi depuis si longtemps…
« A la 20e couche de peinture, plus personne ne voit ce qui est peint , et même aveuglante, la couleur est muette» (GoEtZ)
J’ai peur d’etre decu quand même…