La Lettre

Ondine et son palais immergé
Ondine et son palais immergé

Elle reposa la lettre sur le lit. Il devait arriver d’ici une vingtaine de minutes, ce qui devait lui laisser le temps de se réfugier dans la salle de bain et d’y prendre une douche préparatrice. Elle observa la lettre couchée sur le lit, sans la toucher. Ses yeux parcouraient les lignes, sans les lire, les formes et les courbes de chaque lettre caressaient son corps en doux frissons. Il lui semblait que de jouir de cette vision serait d’autant plus fort qu’elle ne pourrait le voir, LUI.

Elle quitta le lit et se dirigea vers la salle d’eau. Elle s’observa dans le miroir et vit avec émoi qu’elle avait rougi. Les mots de la lettre effleuraient encore son corps, les lignes glissaient le long de ses hanches pour se perdre dans son labyrinthe secret. Elle ôta ses vêtements et fit venir l’eau qui jaillit du pommeau. En entrant dans la cabine de douche, le désir qui l’avait prise en lisant surgit à nouveau. C’était un désir étrange, mêlé d’appréhension : la peur de l’inconnu, de l’Inconnu qui allait venir pour la première fois. Elle s’imagina sur l’hôtel d’un temple secret, construit de fantasmes et de rêves intimes, où Eros verserait sur son corps gonflé de désirs l’eau d’un baptême païen.
Elle saisit le pommeau d’une main presque tremblante évitant que l’eau encore trop froide ne vienne la toucher. Elle resserra ses épaules et ses jambes, s’entourant le buste de son bras libre. Elle ferma les yeux et inspira profondément. L’eau était maintenant chaude. Elle pencha la tête sur le côté et s’offrit au jet doux et puissant. L’eau parcourait son corps en une multitude  de petits ruisseaux dégoulinant le long de son aine, de ses fesses, de ses cuisses, pour venir se faufiler entre ses orteils. Jamais le jet n’avait aussi bien massé sa nuque. La racine de ses cheveux blonds était comme électrifiée par ce contact pourtant si connu d’elle. Il y avait quelque chose de nouveau en cette douche qui la préparait presque contre sa raison à cette rencontre inattendue. Les mots de la lettre l’avaient pénétrée au plus profonds d’elle-même et elle avait laissé se rompre les limites de  sa conscience et de ses envies en le rappelant pour lui dire de venir. Qui était-il donc ? Pourquoi était-elle si excitée de le rencontrer sans même le voir ? Cela faisait maintenant plus de six mois qu’il réapparaissait régulièrement sur sa ligne de téléphone. Elle ne l’avait jamais appelé elle-même, sauf ce soir, mais à chaque fois qu’elle reconnaissait son « Bonsoir ! » à l’autre bout du fil, son esprit s’évadait dans les contrées indéfinies de ses inextinguibles désirs.

Le jet lui massait maintenant les seins dont les pointes s’étaient durcies sous les gouttes entreprenantes. Des milliers de doigts audacieux et téméraires jaillissaient ensemble du pommeau et modelaient ses seins offerts. Elle ne bougeait plus, mais elle sentait son pouls battre ses tempes, sa poitrine et son bas-ventre. Elle soupira en ouvrant les lèvres et en fermant les yeux. La vapeur envahissait peu à peu la pièce et elle disparut sous le clapotis intense de l’eau qui giclait dans son corps en feu.
Elle quitta la douche, émue, tremblante, excitée par ce coït aquatique, et se regarda à nouveau dans le miroir embué. Il lui sembla qu’elle se vit pour la première fois. Elle se plut. Quelques mèches de ses cheveux ruisselants collaient à sa peau dilatée, d’autres semblaient électriques, dans l’attente de caresses à venir.
Elle reprit peu à peu ses esprits bien que rougissant à nouveau. Elle enfila son peignoir, comme il lui avait demandé. Elle aperçut dans la miroir son cou et son buste découverts et s’imagina face à l’Inconnu. C’était ainsi qu’il voulait la rencontrer, et c’était ainsi qu’elle voulait maintenant qu’il la vît. Elle ferma les yeux et laissa glisser ses doigts le long de sa gorge en effleurant les pans du peignoir entrouvert. Son index disparut d’une phalange sous le tissu molletonné et y rencontra la pointe d’un sein qui réagit immédiatement à cette caresse invisible. La sensation du mamelon durci qui poussait doucement la fibre humide l’excita au plus haut degré. Elle tourna lentement autour du bout dressé à l’appel de cette nouvelle invitation au plaisir. Les yeux fermés, elle voulait imaginer les doigts de l’Inconnu dénuder délicatement son buste, son regard peut-être figé sur sa féminité dévoilée petit à petit.

L’inquiétude de  se montrer ainsi à cet inconnu dont elle ne connaissait que la voix était agréablement noyée par la pulsion qui la jetait à lui. Une chaleur intense envahissait son ventre alors que tout son corps était régulièrement parcouru de frissons incontrôlables. Elle rouvrit les yeux et admira sa poitrine tendue. Elle se sentit prête. Elle referma la peignoir et quitta la salle de bain. Dans quelques minutes il frapperait à sa porte et tout s’enflammerait. Allaient-ils se parler ? Quel pouvait être le son de sa voix dans la réalité de cette rencontre ? Qu’allait-il lui dire dans l’obscurité chimérique où elle allait se plonger ?
Le bandeau noir l’attendait sur la chaise, près de la fenêtre. Elle le prit entre ses doigts fins et le caressait doucement. Elle le fit glisser d’une main à l’autre et s’étonna de la sensualité que ce mouvement suscita presque immédiatement en elle. Face à la glace du salon, son visage, son peignoir, son corps disparurent subitement dans le noir. Elle avait fermé les yeux sous le bandeau et ses mains s’affairaient derrière elle afin de resserrer le nœud sur ses cheveux. Quelle étrange sensation ! Tout en gardant les yeux clos, elle tournait doucement la tête comme si quelque chose allait apparaître, miraculeusement ; un rêve peut-être ?

Soudain, elle sursauta. De la porte d’entrée avaient été frappés trois petits coups distincts, fermes et décidés, qui résonnèrent jusqu’à l’intérieur de son corps impatient. Privée de la vue, il lui semblait que toutes ses autres facultés sensorielles étaient décuplées, poussant chaque infime parcelle de sa peau, chacun de ses organes, chacun de ses os vers cette sensualité sauvage à laquelle elle voulait dorénavant se soumettre. Elle rouvrit toutefois les yeux sous le bandeau noir et put distinguer le sol et ses pieds. Elle sourit de sa tricherie et s’envola vers la porte verte qui la séparait pour quelques instants encore de la réalité de son fantasme. Elle hésita. C’était de la folie que d’avoir accepté sa venue chez elle ce dimanche soir. N’importe quel jour d’ailleurs. Elle ne savait rien de lui. Et ce premier appel, il y avait plus de six mois, c’était loufoque. Était-ce bien une erreur de numéro ? A chaque fois qu’il avait proposé une rencontre, elle avait refusé en trouvant tous les prétextes pour fuir. Mais ce soir, il était là, derrière sa porte, cet intriguant Inconnu. Elle ne pouvait plus reculer ; peut-être ne le voulait-elle plus d’ailleurs ?
Elle saisit rapidement le bas du bandeau et tira dessus jusqu’à ce que sa vue soit totalement annihilée. Elle tourna le verrou de sécurité et ouvrit la porte. Son cœur martelait sa poitrine à une cadence infernale, sa respiration était presque haletante, sa main encore sur la poignée tremblait en spasmes saccadés.

*

  « Bonsoir ! », entendit-elle. Sa voix était chantante mais grave, terminée par un souffle léger qui effleura doucement son visage. Il était là, face à elle, face à son corps nu sous son peignoir. Son parfum était fin, subtil, léger mais étrangement présent. Elle laissa l’effluve prendre possession de ses sens en émoi. Il lui apparut comme un philtre magique qui l’emporterait au-delà des frontières du plaisir qu’elle n’avait pas franchies jusqu’alors.
Elle l’entendit passer le seuil de  sa porte et sentit dans le même temps les lèvres de l’Inconnu se poser sur les siennes, pour les quitter aussitôt. Elle avait reculé son visage dès qu’il l’eut touché et regretta ce mouvement. Mais alors qu’elle s’avança de nouveau, sa main fut délicatement prise par celle de l’Inconnu qui l’invita vers l’intérieur. Elle le suivit tout en ne pouvant percevoir la direction qu’ils prenaient. Elle ne reconnaissait plus son propre appartement. Il lui importait peu de savoir où ils étaient de toute façon, elle était plongée dans un rêve dont les délices prometteurs effaçaient toute idée d’en sortir.

« Assied-toi ! » fut un souffle qui caressa son oreille dans qu’elle s’y attendit. Elle s’exécuta et entendit l’Inconnu en faire de même à ses côté.
Le bruit du divan s’affaissant sous le poids des deux corps l’électrisa. Il ne la touchait pas encore et pourtant, elle se sentait déjà possédée par sa seule présence. Elle ne put parler, bien qu’elle en eut envie. Sa velléité de lui dire quelque chose disparut sous les lèvres de l’Inconnu qui touchaient presque ses oreilles en soufflant : « Ne triche pas, garde ton bandeau, aie confiance en tes désirs… ». Puis ses lèvres plongèrent sur son cou qu’elle lui offrit en penchant la tête de côté. Elle sentit son nez la caresser, derrière son lobe jusqu’au pans de son peignoir. Il la respirait. Le parfum de l’Inconnu était une étreinte divine dans laquelle elle se noyait. Sa bouche baisait sa gorge offerte et elle sentait sa langue humide glisser sur sa peau. Elle fut prise d’un désir irrésistible de se laisser aller, de s’ouvrir au plaisirs inconnus qu’il lui proposait. Elle décroisa les jambes en se demandant quelles parties de son corps étaient visibles de l’Inconnu. Cela l’excita terriblement d’être vue sans qu’elle-même puisse voir. Elle ouvrit ses jambes alors que l’Inconnu l’embrassait toujours. Il plongea subrepticement sous les pans de son peignoir.
Ses seins ne demandaient qu’à être modelés dans les mains délicates mais expertes de l’Inconnu. Elle gonfla sa poitrine et sentit qu’un de ses sublimes attributs s’était dégagé du tissu éponge. Elle saisit la main de l’Inconnu qu’elle guida sur son torse libre. Les doigts écartés, la main pétrissait fermement le globe gonflé alors que la langue, qui s’était longuement attardée sur sa gorge, descendait lentement sur son buste. Très vite, le muscle humide entourait la pointe dressée du sommet de sa féminité qui ne demandait qu’à fondre entre les lèvres de l’Inconnu. Il l’aspira pour la faire disparaître dans sa bouche.
Les caresses se firent plus légères et plus amples à la fois, voguant d’un sein à l’autre. Elle percevait les cercles concentriques dessinés par le bout de ses doigts, qui effleuraient immanquablement ses tétons durcis, sa joue rougie, les lobes de ses oreilles, son ventre tendu, pour sans cesse poursuivre leur course folle vers son intimité profonde, tirant à chacun de leur passage un peu plus sur les pans du peignoir qu’elle « voyait » s’ouvrir sous le regard impudique de l’Inconnu. Son souffle était fort à lui aussi. Il devait de la même manière être très excité par la vision qu’elle lui offrait. Cependant, elle n’osait pas le toucher. L’aurait-elle pu d’ailleurs ? Il continuait, comme dans la lettre, à s’aventurer sur le chemin des délices.

Le nœud du vêtement se libéra et son corps sortit de sa gangue qui refoulait hier les désirs à vivre aujourd’hui. Elle se savait maintenant nue sous les yeux de l’Inconnu qui s’était agenouillé devant elle, comme pour prêter allégeance à cette ondine aux cheveux d’or, assez séduite pour lui ouvrir la porte de son palais immergé et le laisser accéder à son plus grand trésor. Jamais son excitation n’avait été aussi forte. Elle saisit de ses deux mains les cheveux de l’Inconnu. D’un mouvement ambigu, elle le retenait comme elle le poussait vers son entrejambe ouvert. La langue de l’Inconnu continuait son chemin indiscret jusqu’à la naissance de son pubis, où elle se mit à frémir en se frayant un passage. Elle écarta très largement les cuisses et invita l’Inconnu à y prononcer son excursion exotique. Elle sentit la vibration électrique pénétrer peu à peu son jardin secret, et elle ne put retenir un soupir de plaisir.
Les doigts de l’Inconnu s’étaient retrouvés à cet endroit précis où elle voulut qu’il se concentra. Ses doigts avaient le code d’entrée de sa porte magique qui s’ouvrit sur le passage de la langue intrépide. De très rapides allers et venues sur son sexe béant la tétanisèrent soudain alors que de petits cris de surprise et de joie sortaient de sa bouche. Elle le laissait ainsi lui donner ce plaisir qu’il avait si précisément décrit dans la lettre. La bouche de l’Inconnu la dévorait maintenant sous les mouvements saccadés de ses reins. Il allait la faire jouir. Elle allait jouir, comme dans un rêve, avec personne, personne qu’elle put voir, qu’elle put reconnaître. Tout devenait irréel. Elle hurlait tant sa jouissance était proche. Elle avait libéré les cheveux attachés de l’Inconnu pour y enfouir ses doigts, tenant fermement la tête de cet amant de l’ombre entre ses cuisses. Elle fut secouée violemment par des spasmes d’une puissance jamais atteinte auparavant. Elle avait joui. Elle avait joui de cet inconnu, de ce mystère, de ce fantasme.

Son corps était reposé mais elle tremblait encore de tous ses muscles. Elle respirait profondément, savourant ce moment intense et rare de bonheur et de satisfaction.
Elle ne s’inquiétait plus de l’Inconnu. Il devait sans doute l’observer dans son demi coma dont elle ne voulait plus sortir. Pourtant, elle voulut alors le toucher, s’assurer de la réalité de sa présence. Elle voulut lui rendre avec toute la grâce de sa féminité révélée les caresses dont il avait si bien su la faire jouir. Mais sans qu’elle l’eut entendu partir, il avait disparu.

Dans sa chambre, sur le lit, la lettre l’attendait. Elle la relut encore une fois et s’endormit, lourde de plaisir, d’images chimériques et de scènes érotiques.

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Mangeat D

Belle intro, pour cette pensée.et les plaisirs..!!.avoir les photos en +…